Remise du Prix Marie Bouffier par l’Académie de Marseille à Yann CHANE-FUI
19 décembre 2022
Le jeudi 15 décembre, Yann CHANE-FUI accompagné par David HOARAU, instructeur de locomotion à l’Institut pour Déficients Sensoriels IRSAM La Ressource, tout juste arrivés de La Réunion, a pu recevoir avec beaucoup d’émotions et de fierté le prix Marie Bouffier au Palais du Pharo de Marseille, par Eliane RICHARD, académicienne et rapporteur qui a ainsi rappelé l’origine du prix et le parcours méritant de Yann.
Qu’est ce que le prix Marie Bouffier ?
Le prix a été créé en 1920 par Marie BOUFFIER, Supérieure de la Congrégation des Soeurs de Marie Immaculée et co-fondatrice aux côtés de l’Abbé Dassy de l’Institut des jeunes sourds et aveugles de Marseille, appelé aujourd’hui l’Association IRSAM. Ce prix est décerné chaque année à un jeune élève particulièrement méritant d’un des établissement de l’Association par l’
Académie d’Aix-Marseille.
Cette année, c’est Yann CHANE-FUI qui été récompensé. Vous trouverez ci-dessous son parcours depuis sa naissance, illustrant sa combativité (récit de sa maman).
Né le 12 juin 2003 à Saint-Paul sur l’île de La Réunion, ainé de la fratrie, il a deux soeurs. A 3 mois, ses parents ont eu un doute sur son état de santé, c’est en consultant que les médecins se rendent compte qu’il y a un souci de vision, les premiers examens se sont
déroulés à La Réunion. En une semaine, Yann s’est retrouvé à Paris à l’institut Curie où ils ont confirmé, qu’il avait un cancer de la rétine droite et gauche, plus accentué à l’œil gauche. Après une séance de chimiothérapie, l’œil droit réagissait bien, mais le gauche était trop atteint, il a eu donc une énucléation de l’œil gauche, en novembre 2003 alors qu’il n’a que 5 mois.
En 2004, il débute avec des séances de chimiothérapie associées à des traitements par laser, cryothérapie, thermochimiothérapie, irradiation externe, des fonds œil sur fonds d’œil, anesthésies sur anesthésies.
Yann était déjà un battant dès son très jeune âge, il croque la vie a pleine dent, il aimait les légendaires dessins animés, Car, la voiture rouge et Kirikou.
Faisant de nombreux allers-retours entre Paris et l’île de La Réunion pendant plusieurs années, allant de la maison des parents de Curie ainsi que chez les membres de sa famille, qui le soutenait aussi beaucoup, Yann était bien entouré. L’institut Curie ayant donné les contacts du CAMSP sensoriel IRSAM pour son suivi déficient visuel, il a eu des séances à domicile jusqu’à sa scolarité où certains professeurs jouaient le jeu et d’autres non.
Déficient visuel un jour et non voyant lorsqu’il faisait une hémorragie, son handicap ne le gêne pas à avancer, bien au contraire, mais Yann ne lâchait rien, perdant un sens, Yann en développait d’autres.
Malgré un bon suivi et les soins, son œil n’a pas supporté les nombreux traitements, il a commencé à faire plusieurs hémorragies.
En septembre 2006, il a eu sa 1ere vitrectomie à la Fondation Rotchschild, suivie de 2 autres qui abimèrent son œil, un jour, il a fallu prendre une décision enlever et être non voyant ou garder l’œil et prendre le risque que le cancer aille jusqu’au cerveau.
Le 11 mai 2008, un mois avant ses cinq ans, il a eu donc l’énucléation de son œil droit.
Après son opération et quelques semaines de repos, Yann ne s’est pas laissé abattre a vrai dire, c’est même lui qui a décidé seul d’enlever l’autre œil car, il « en avait marre »…
Il reprit le chemin de l’école et le lien avec IRSAM Camsp Sensoriel avec davantage de séances. Ainsi de nombreux éducateurs et rééducateurs ont croisés son chemin dont un instructeur de locomotion, pour l’utilisation de la canne blanche, étant un peu rentré dedans au départ, Yann fut par la suite exemplaire. Aujourd’hui, il utilise une canne électrique TOM pouce 3 pour se déplacer.
Il a su en quelques mois assimiler le braille avec l’aide des enseignants de l’Institut IRSAM La Ressource, c’était pour lui un moyen de rentrer rapidement vers le chemin de l’école. A la fin du primaire, il intègre une classe ordinaire dans la ville de Saint-Pierre, et là aussi les professeurs spécialisés qui ont croisé son chemin sont tous fiers de lui et de son parcours.
Yann a un bon niveau intellectuel, sa scolarité s’est très bien passé en primaire et même au collège où il intègre davantage les classes « ordinaires » les professeurs étaient épatés, un jour en 5ᵉ son professeur de mathématique, l’a félicité, car il a correctement répondu à une question qui portait sur le théorème de Pythagore, en mettant en avant le fait que Yann, a su se représenter mentalement le triangle en s’appuyant juste sur les valeurs.
En 2017, il obtient son brevet des collèges avec mention assez bien. En première générale, Yann a été sollicité par son ancien professeur de français pour écrire une autobiographie. En 2020, il obtient son baccalauréat de français. En 2021, il est Diplômé du baccalauréat général puis poursuit une année universitaire en faculté de droit au Tampon, il apprends des choses mais préfère se réorienter en psychologie qui correspond davantage à sa personnalité.
Yann est un aidant, prêt à soutenir d’autre déficient visuel et à donner quelques conseils informatiques.
Il a toujours voulu être autonome et ne dépendre de personne pour sa mobilité. Actuellement il a une chambre au Crous à Saint-Denis, il se retrouve en complète autonomie, fait ses courses, prend le bus pour se rendre à l’université et s’entraîne au cécifoot, club qu’il a récemment intégré par le biais de son autre instructeur en locomotion qui est l’entraîneur.
Yann est un jeune sportif, en mai 2022 il a participé à la coupe de France de Cécifoot à Bondy. Il croque la vie à pleine dent et il est prêt à relever chaque défi que la vie lui donne.
Dernièrement, il a participé et remporté avec son équipe le relais de la ville de Saint Denis dans sa catégorie.
Yann est un jeune homme d’apparence calme, mais il déborde d’énergie, il aimerait être psycho-clinicien et voudrait ouvrir son propre cabinet.
Yann non-voyant, poursuit aujourd’hui sa scolarité. Inscrit en Licence de psychologie, il va faire de nouvelles rencontres, acquérir de nouveaux savoirs et poursuivre ses efforts. Dessiner, avoir sa propre représentation d’objets, d’êtres vivants ou de concepts abstraits restent selon moi des qualités qu’il développe quotidiennement.
Le témoignage de Christophe LEBON, enseignant spécialisé IRSAM La Ressource
Mon accompagnement auprès de Yann m’a permis de découvrir qu’il était possible de :
- Vivre sa déficience visuelle avec humour.
En Cm1, alors qu’il était dans les rangs, il m’a bousculé malgré l’utilisation de sa canne (je lui avais tourné le dos inconsciemment après avoir demandé aux élèves de rentrer dans la salle de classe). Ma réaction a été spontanée. « Yann tu vois bien que je suis devant toi !! et tu me fonces dessus. » Il me répond alors avec le plus grand sourire et d’un air très naturel : « ben non ! Je ne vois pas ; tu as oublié… »
- Me demander lors de mon inspection la possibilité d’écrire la date en « noir au tableau » (CM2). Sans savoir comment il allait réaliser cette tâche sous nos regards ébahis, la date était bien écrite en lettres majuscules tout en haut du tableau.
- Se déplacer en courant, en sautant des marches d’escalier au collège. (5ème) sous le regard des autres élèves et du personnel du collège.
- Compenser sa déficience visuelle à partir d’informations verbalisées par la professeure de SVT à partir d’un support visuel (vidéoprojecteur) (3ème). A la fin de ce cours de SVT, la professeure me demande : » Yann, est-il non-voyant ? Il ne voit rien mais reste le seul élève de la classe a pouvoir répondre correctement à une question. »
- Skier seul en s’orientant avec la voix d’un guide (3ème)