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Portrait Karine TIKHOMIROFF, Transcriptrice- Adaptatrice Spécialisée IRSAM Arc-en-Ciel

1 avril 2025

 Présentation

Être transcriptrice- adaptatrice, c’est produire du contenu pour des personnes en situation de déficience visuelle. On fabrique les documents dont ils ont besoin, quelles que soient leurs caractéristiques, scolaires ou extra-scolaires. On réalise du « GK » (grand caractère), du braille papier, du braille numérique et des reliefs, et ce pour tout type de déficience visuelle.

 Comment es-tu devenue transcriptrice ?  

« J’ai envie de dire par hasard puisque c’est un métier que personne ne connaît. Je revenais de Slovaquie où j’avais été lectrice en français et je cherchais du travail. En janvier 2006, j’avais la trentaine, j’ai répondu à une offre de l’Association IRSAM mais ce n’était pas pour la transcription, c’était pour être surveillante, car à l’époque il y avait encore des salles de classes et une salle d’étude. Et puis au bout de quelques mois, j’ai été nommée sur un poste en transcription. Du jour au lendemain, la directrice est venue me voir et m’a dit : « Vous partez en formation de transcriptrice lundi prochain ». Je lui ai répondu « Pardon ? Lundi, là ? ». Je suis donc partie en formation de transcriptrice pendant deux ans, sans même connaître le braille intégral alors que c’est un prérequis. Ce qui m’a tout de suite plu, c’est que la transcription est un métier utile et éthique. »

 

 Un métier en lien avec les autres 

« Nous sommes sept personnes à effectuer ces tâches de transcription. Nos interlocuteurs privilégiés sont les enseignants spécialisés, ce sont eux en majorité qui font les demandes de transcription. Nous travaillons en étroite collaboration. Par exemple, quand un jeune passe du « GK» au braille, nous essayons de trouver avec les enseignants le meilleur moyen de faciliter ce passage, qui est lent et complexe, avec des adaptations qui sont, à ce moment-là, complètement personnalisées. Mais nous travaillons également avec les éducateurs spécialisés ou les instructeurs en locomotion par exemple.« 

Si une grande partie de ton métier se fait en interne à l’institut IRSAM Arc-en-Ciel, tu travailles aussi avec des partenaires extérieurs ?  

« Oui, nous transcrivons les examens des universités par exemple, nous avons des contacts privilégiés avec certains partenaires, par exemple le MUCEM ou les Archives départementales, pour proposer des documents adaptés aux visiteurs. De plus, en tant que centre de transcription, nous sommes susceptibles de fournir les adaptations que nous avons réalisées à toute personne en situation de déficience visuelle qui en fait la demande. « 

 

Son métier à l’avenir 

 « Je commence à être furieusement passionnée d’IA. Professionnellement parlant, j’ai rencontré l’IA lors du congrès de la FISAF (Fédération nationale pour l’Insertion des Sourds et Aveugles de France]. La première question qui a été posée était « Est-ce que les centres de transcription vont disparaître ? ». Forcément, cela m’a interpellée. Je suis passionnée de sciences, donc évidemment l’IA ne pouvait que me plaire, mais ce congrès de la FISAF m’a fait prendre conscience à quel point ces technologies

arrivaient dans mon métier, qu’on le veuille ou non. Il m’a semblé que l’attitude la plus intelligente consistait, non pas à refuser ces outils mais à se les approprier afin de pouvoir les utiliser au mieux.

Très vite, j’ai passé une première certification professionnelle, et après en avoir parlé à plusieurs reprises à la direction, de l’institut IRSAM Arc-en-Ciel et de l’Association IRSAM, j’ai maintenant, en transcription, quelques heures dédiées à l’IA de façon officielle. Je me penche sur des cas d’usage, à la fois en transcription, mais plus généralement sur l’établissement IRSAM Arc-en-Ciel. L’IA va être mise en place petit à petit, je réfléchis d’ores et déjà à certains outils en privilégiant le côté efficace, gratuit si possible et agréable pour l’utilisateur.

Mon travail actuellement, c’est donc de réfléchir à des outils qu’on va facilement pouvoir prendre en main, toujours avec comme objectif d’améliorer, soit la qualité de nos transcriptions, soit de nous faire gagner du temps pour certaines tâches. On peut améliorer nos descriptions de cartes, de schémas. La description de document est une tâche complexe, et moi personnellement, je ne trouve pas que ce soit un exercice facile. J’ai donc implanté une IA sur mon ordinateur pour qu’elle effectue ces descriptions, en local. J’ai également travaillé sur les maths : j’ai créé un petit utilitaire avec l’IA qui va nous aider dans les transcriptions de maths numériques.

A l’avenir, je pense qu’il y aura beaucoup de tâches d’automatisation qui vont pouvoir être mises en place. Par exemple, on reçoit des mails de demandes de transcription et très sincèrement, je pense qu’une IA ou une automatisation bien réglée nous aiderait pour y répondre, classer les fiches, remplir notre tableau Excel… On peut également fournir des bases de données personnalisées avec une IA qui nous aide à comprendre les documents, faire de la veille technologique automatisée, transcrire les réunions, créer de toute pièce des programmes de code comme je l’ai fait avec Rob_Maths par exemple. Les possibilités sont vertigineuses. Sans compter l’arrivée de ce qu’on appelle les Agents IA.

L’IA, pour moi, c’est incontournable. Je ne pense pas qu’elle va nécessairement prendre la place de tout le monde, par contre, elle prendra la place de ceux qui refusent de s’en servir. Me saisir de l’IA, c’est une manière de protéger mon emploi. »

Tu penses que l’IA permet d’améliorer la qualité des transcriptions que tu produis ?  

« L’IA, c’est très efficace pour les descriptions de documents, oui, cela donne des idées, cela aide à rédiger. Mais quand tu dis « ça améliore », je dirais oui et non parce qu’il faut toujours vérifier tout ce que fait l’IA. De manière générale, on ne peut jamais laisser un jeune seul avec une IA. On n’éduque pas des jeunes à coups d’IA, il faut toujours un contact, un soutien et un accompagnement. L’IA va permettre de faciliter certaines activités, d’augmenter la rapidité de certaines tâches, mais cela nécessitera toujours des vérifications. En effet l’IA produit ce que l’on appelle des hallucinations, elle invente. On doit donc vérifier ce qu’elle propose.

Donc oui l’IA aide, c’est évident, mais toujours avec cette posture que nous devons avoir, une posture humaine. C’est-à-dire qu’en dernier lieu, c’est le regard de l’humain qui va valider le travail de l’IA, cela ne peut pas se produire autrement.« 

 

Un regard sur le handicap 

 « Le terme de « handicap », pour moi, c’est un peu une étiquette qu’on te colle et qu’on refuse de t’enlever. Dans ma famille, j’ai été confrontée au handicap, visible et invisible, mais on n’a jamais considéré ces personnes comme des personnes handicapées. Pour moi, ce sont avant tout des personnes avec des envies, des projets, des goûts, une personnalité… Ce regard là que j’ai sur le handicap, n’a pas bougé et ne bougera jamais. Je vois la personne avant tout.

D’après mon expérience c’est aussi le regard de l’autre qui te rend handicapé : on est tous l’handicapé de quelqu’un. S’il y avait dans la vie courante toutes les adaptations nécessaires, il n’y aurait pas de handicap. Grâce à mon métier, je me rends surtout compte à quel point, dans le monde d’aujourd’hui,

les adaptations que je produis manquent. C’est un cercle vicieux : comme ces adaptations manquent, les personnes sont en difficulté, donc elles sont étiquetées handicapées. »

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