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Portrait de Sylvie PEBAYLE, Transcriptrice à IRSAM La Ressource

29 avril 2025

Sylvie PEBAYLE est transcriptrice pour IRSAM La Ressource, au Pôle Sensoriel de l’Association IRSAM à Saint Louis. Elle répond à nos questions :

Pouvez-vous nous raconter votre parcours avant d’arriver à l’Association IRSAM ?

Après des études de Lettres et en Documentation menées à Bordeaux, j’ai débuté à IRSAM La Ressource en 2006 en tant que documentaliste à de Sainte Marie. La Loi « Handicap » de février 2005, venait à peine d’être votée et à l’époque, La Ressource fonctionnait comme une école avec un CDI dédié à l’ensemble des jeunes déficients sensoriels. Je ne connaissais rien au monde du handicap, ni à l’action médico-sociale à ma prise de poste : au fur et à mesure du temps, j’ai fait des recherches, lu un peu aussi ( !), et appris beaucoup au contact des jeunes et d’un bon nombre de professionnels passionnés. Puis on m’a fait confiance et j’ai pu bénéficier de formations en LSF et dans le domaine de la DV. C’est au sein de l’IES, dès les premiers jours que j’ai découvert le métier de transcriptrice : le braille, ce code alors énigmatique pour moi, a suscité rapidement ma curiosité. Et puis j’ai eu assez vite l’envie d’apprendre ce métier qui m’apparaissait comme complémentaire à celui de documentaliste. L’idée d’être actrice dans la mise en accès de tous les champs de la connaissance à un public « entravé » me plaisait beaucoup. J’ai assez tôt émis le souhait de suivre la formation au métier de transcripteur. Vœu qui a été exaucé en 2017 : j’ai suivi la formation dispensée par la FISAF et l’université de Paris Sorbonne, suis allée en stage notamment au service de transcription de l’IES Arc-en-Ciel en 2018 et ai décroché mon diplôme en 2019, afin d’exercer ces nouvelles missions à temps plein. « Transcripteur et adaptateur de documents pour les personnes déficientes visuelles », c’est un métier plutôt confidentiel : nous devons être quelques 250 personnes en France à exercer ce métier inventé dans les établissements médico-sociaux dédiés au handicap sensoriel, dans les années 90, pour répondre à des besoins criants en adaptation de documents. Malgré les avancées technologiques majeures de ce nouveau siècle et le travail abattu par les services et instances dans le domaine, nous peinons encore aujourd’hui à n’adapter que 8 % de la production éditoriale, pour ne donner qu’un chiffre, à titre indicatif. La tâche reste colossale…

Quelles sont vos principales missions ?

Une seule résume à peu près tout : rendre accessible tout type de document à destination des personnes déficientes visuelles selon leurs besoins, formulés ou non. Du texte mais aussi de « l’image », sous toutes ses formes : cartes, plans, schémas, croquis, tableaux, affiches, flyers, graphiques, photos, œuvre d’art, BD ? (On ose y réfléchir dans certains cas !)…

On utilise pour cela différentes techniques en fonction du public destinataire de l’adaptation et en fonction des objectifs visés par la personne à l’origine de la demande : braille, dessin en relief, texte numérique accessible, audio, description, gros caractères, travail sur les contrastes, les couleurs pour l’iconographie à destination des jeunes malvoyants…

L’essentiel de notre activité reste concentrée sur l’adaptation de supports pédagogiques, édités ou créés par le corps enseignant, afin de permettre aux jeunes que l’on accompagne de suivre une scolarité « équitable » en milieu ordinaire ou en Unité d’Enseignement.

Pour accomplir mon ouvrage aussi efficacement que possible, avant chaque début d’année, je « me » prépare un profil de chaque enfant en cherchant les réponses à ces questions essentielles : Quels sont ses aptitudes et ses besoins en adaptation ? De quels matériels dispose-t-il.elle et où en est-il.elle de ses apprentissages spécifiques ? Quels professionnels s’occupent de lui.elle ? Je rencontre les membres des équipes pluridisciplinaires pour glaner toute information qui pourrait m’être utile. C’est un travail minutieux mais hautement profitable notamment pour établir et maintenir un lien précieux de confiance mutuelle avec les professionnels de terrain.

Au quotidien, Je me contente rarement de faire une « simple » adaptation de document ; en fonction de ce que je sais de l’état des connaissances d’un jeune, je peux être amenée à ajouter des informations complémentaires, à un cours de chimie, par exemple, dans lequel on emploie un vocabulaire technique lié à la verrerie. Pour cet exemple, j’avais ajouté une fiche descriptive avec des définitions, illustrée de dessins en relief, (ou en « 2D et demi » selon une expression toute personnelle !).

Nous avons répertorié environ 125 enfants DV, dont la moitié, âgés de 6 à 20 ans, ont des besoins récurrents en adaptation au cours d’une année scolaire. Une bonne dizaine d’entre eux sont braillistes et une dizaine supplémentaire en cours d’apprentissage du code, du fait d’une très grosse malvoyance et/ou d’une pathologie évolutive. Malheureusement, par rapport aux moyens humains de notre service, nous ne pouvons suivre régulièrement autant de jeunes. Les aides techniques peuvent être là (et nous nous démenons avec Handitic+ pour que cela soit le cas) mais ne font pas tout. Il est frustrant de ne pas pouvoir apporter le soutien nécessaire à chaque jeune ; nous nous sentons démunis quand on nous fait le récit de collégiens épuisés en fin de journée à force d’avoir sollicité une vision déjà « peu coopérante » et en difficulté à cause d’un défaut de communication des demandes d’adaptation !

Au-delà de ma participation aux missions de sensibilisation au handicap assurées par notre établissement, je milite pour que les services de la transcription s’élargissent au public ayant besoin de Français facile à lire et à comprendre (FALC), au public ayant besoin de supports d’informations hybrides (entre la 3D et la 2D, entre le réel et le symbolique -pictogrammes…) : je pense à nos jeunes avec troubles associés.

Quelles relations entretenez-vous avec les personnes accompagnées ou les familles ?

Même si mon accompagnement est principalement indirect, j’ai l’occasion de rencontrer les jeunes de temps en temps. Je co-anime parfois des activités. Par exemple, en mars dernier, j’ai proposé un atelier de lecture sur le thème de l’album tactile aux jeunes de l’UEE DV primaire du secteur. Série d’ateliers qui s’est clôturée par la visite de la section « Lire Autrement » de la toute nouvelle Médiathèque Angelo Lauret (Saint-Pierre). Ces moments privilégiés avec les enfants que nous accompagnons, donnent tout son sens à notre travail. Pour prolonger sur le thème global de la lecture accessible, nous avons pour projet d’intervenir avec HandiTIC+, auprès de nos collégiens et lycéens qui ont besoin d’avoir connaissance de ce dont ils peuvent bénéficier aujourd’hui (lois, techniques, lieux, plateformes…).

L’Association IRSAM, c’est quoi pour vous ?

L’association qui a repris le flambeau de l’œuvre portée par une congrégation religieuse, dont le but était de permettre l’accès à l’éducation pour les enfants porteur d’un handicap sensoriel à La Réunion et dans l’hexagone. Notez que le droit à l’éducation est un des droits fondamentaux inscrit dans la CIDE (Convention internationale des Droits de l’enfant) ratifiée par la France en 1990 alors que la loi obligeant l’EN (Education Nationale) à accueillir et scolariser TOUS les enfants ne date que de 2005 ! Le secteur médico-social peut être fier d’avoir été et d’être encore précurseur, depuis des décennies, dans des domaines qui sont considérés aujourd’hui comme relevant du droit commun !   

Quel regard portez-vous sur le handicap ?

À la page des remerciements de mon récit d’investigation professionnelle, j’écrivais au sujet de tous ces enfants que j’avais rencontrés en 10 ans, et à tous ceux dont j’allais faire connaissance, qu’ils étaient « extra-ordinaires », en appuyant sur le superlatif de ce mot quand on le décompose. Ils m’ont amené à percevoir le handicap, non pas comme un obstacle, mais comme le moyen de se surpasser, une force, dans un monde trop étriqué dans son costume de « normes ». Dans les courses hippiques, d’où vient l’origine du mot « handicap », ce terme désigne le « désavantage que l’on donne aux meilleurs concurrents »…

« La cécité n’est pas une limite, mais une autre manière de voir le monde », citation d’Helen Keller (1880-1968, éducatrice, écrivaine et militante américaine sourde-aveugle) que nous avons choisi d’inscrire sur l’un des murs du Pôle Sensoriel de l’Association IRSAM, donne cette idée.

Les personnes en situation de handicap sont autant de sources d’inspiration, de modèles à suivre, des individus aux parcours singulièrement romanesques, pour certains !

Jacques Lusseyran (1924-1971), aveugle et engagé dans la résistance à 17 ans, revenu du camp de Buchenwald pour devenir docteur es lettres à Paris et enseigner dans une université américaine ensuite.

Pierre Villey (1879-1933) aveugle, auteur d’une thèse notoire sur les Essais de Montaigne, d’ouvrages faisant encore aujourd’hui référence sur la déficience visuelle.

Laetitia Bernard, journaliste à France Télévisions, aveugle, auteure de « Ma vie est un sport d’équipe » et cavalière handisport en sauts d’obstacles.

Fabienne Haustant, danseuse professionnelle non-voyante, fondatrice de l’association « Danse les yeux fermés » depuis 2012. Nos jeunes de IRSAM La Ressource ont eu la chance de participer à des ateliers qu’elle a animé à La Réunion à 2 reprises !

Jacques Charlin, non-voyant, Président de Voir Ensemble, docteur es maths, professeur émérite depuis 2003 à l’Université de Lyon.

Maudy Piot (1940-2017) , psychanalyste non-voyante, militante pour les droits des femmes handicapées, fondatrice de l’association « Femmes pour le dire, femmes pour agir ».

Sans oublier Louis Braille lui-même , génial inventeur, à 14 ans, du système d’écriture à points saillants universel !

Souhaitez-vous nous partager une anecdote ?

Quand j’étais en formation, j’ai participé à des ateliers de lecture tactile proposés par la Fédération des Aveugles de France. J’étais à côté d’une jeune femme aveugle, habituée à l’exercice, qui, en un instant, a réussi à reconnaitre les formes globales, les nommer et en donner une interprétation : il s’agissait de l’adaptation en thermogonflage d’une œuvre cubiste de Picasso. Pendant ce temps, moi, sous bandeau, je peinais à identifier de simples formes géométriques ! L’exercice pratique de la lecture tactile est bien différent de la théorie et nous ramène à beaucoup d’humilité face à ceux que nous accompagnons !

 

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